Dans
la langue de Touva, l'expression "huun huur tu" désigne
cet étrange phénomène de diffraction de
la lumière qui se produit sur la steppe au moment où
le soleil se lève ou se couche. En cet instant magique,
on dirait que la terre toute entière rayonne d'une lueur
sans âge émanant des herbes et des pierres. Il
existe un parallèle entre ce phénomène
lumineux et la dissociation des harmoniques de la voix produite
par les techniques du chant "khöömii" (littéralement
chant de larynx), en français chant diphonique.
Ce singulier art vocal est pratiqué en Mongolie et à
Touva, ex-république soviétique autonome qui lui
est limitrophe à l'ouest de sa frontière nord.
Quiconque l'a entendu une fois ne pourra l'oublier. Et c'est
afin de faire connaître ce fascinant particularisme musical,
que le groupe Huun Huur Tu s'est formé en 1992, après
que le pays fut libéré du carcan soviétique.
La première mouture du quatuor est formée de Kaigal-ool
Khovalyg, Alexandre "Sacha" Bapa et son frère
Sayan, trois transfuges de l'Ensemble folklorique d'Etat, troupe
officielle chargée de présenter une image stéréotypée
des traditions populaires dans l'ancien empire soviétique,
ainsi que d'Albert Kuvezin.
Kaigal-ool Khovalyg a officié comme berger jusqu'à
ses 21 ans, en 1981, avant d'intégrer l'Ensemble folklorique
d'Etat. Il est particulièrement réputé
pour sa maîtrise des techniques spécifiques de
chants khöömii et kargyraa.
Sayan Bapa a du sang russe par sa mère. Il s'est formé
à la musique dans le nord du Caucase et a été
bassiste de jazz-rock avant de se tourner vers les traditions
de son pays à son retour à Touva, au début
des années '90. Il maîtrise particulièrement
les instruments à cordes traditionnels comme le doshpuluur
et l'igil.
Albert Kuvezin, qui avait entrepris sa propre démarche
dès 1991, participe à la première tournée
et au premier album de Huun Huur Tu, avant de se consacrer entièrement
à son propre projet, à la frontière du
rock et de la tradition avec son groupe Yat-Kha. Il est remplacé
en 1993 par Anatoli Kuular, ancien berger virtuose du chant
diphonique et de la guimbarde devenu musicien professionnel
au sein de l'Ensemble Touva.
Sacha Bapa, possédait notamment dans sa panoplie de percussions
un hochet fabriqué à partir d'un testicule de
bœuf dans lequel sont enfermés des osselets de chevilles
de moutons. Il quitte le groupe en 1995, après ses premiers
succès américains, pour se lancer dans la production
à Moscou. Il est remplacé par le jeune Alexei
Saryglar, ancien membre de l'ensemble d'Etat Siberian Souvenir,
spécialisé dans le style de chant sygyt.
Basé dans la capitale de Touva, Kyzyl, Huun Huur Tu a
été invité à tourner aux Etats Unis
dès 1993. Les musiciens ont contribué à
la musique du film Geronimo sous la houlette de Ry Cooder et
se sont joints aux univers aussi divers que ceux du regretté
Frank Zappa, des Chieftains ou du Kronos Quartet. Les deux albums
enregistrés en 1996 et 1998 par Huun Huur Tu avec le
chœur de femmes bulgares Angelite n'égalent sans
doute pas la puissance d'évocation des quatre albums
produits par le label américain Shanachie. Et c'est sans
doute avec le cinquième, un "live" enregistré
en avril 2001 dans d'excellentes conditions, que l'on approchera
au plus prêt les émotions inédites provoquées
par cette musique venue d'un monde où l'homme, le cheval,
l'eau, la terre et le ciel sont unis dans le mystère
d'une ineffable harmonie.
François
Bensignor